Le Mouvement de la Reconstruction Chrétienne. (1ère Partie)

Publié le 1 Mai 2008

Le Mouvement de la Reconstruction Chrétienne. (1ère Partie)

I

C'est à une révision radicale et totale de ses modes de vie, de pensée et d'action que le peuple de Dieu est appelé en cette fin du XXe siècle. Qu'ils soient orthodoxes-orientaux, catholiques-romains ou protestants, les conservateurs attachés à leurs traditions, qui ne sont trop souvent que des habitudes ou des routines plus ou moins anciennes, et les progressistes s'accrochant à des nouveautés, qui ne sont trop souvent que des reprises de vieilles erreurs sous de nouveaux masques, doivent s'examiner eux-mêmes et accepter d'être mis en question de façon vraiment critique non pas d'abord par les accusations plus ou moins sérieuses et fondées qu'ils s'adressent les uns aux autres mais par la Vérité sûre et certaine de la Parole de Dieu incarnée qu'est le Christ de la Sainte Ecriture, de la Parole de Dieu inspirée qu'est la Sainte Ecriture du Christ.

Depuis trois millénaires et demi, à chaque époque critique de son histoire, le peuple de Dieu - l'Eglise de l'ancienne disposition qu'était Israël puis l'Israël de la nouvelle disposition qu'est l'Eglise - n'a connu de vrai renouveau, de vraie re-formation, qu'en revenant cordialement à cette Parole toute proche qu'il ne tient contre lui que pour être tenu par elle. La fonction prophétique véritable, depuis Moïse jusqu'aujourd'hui, a toujours été et demeure, sous l'emprise souveraine du Saint Esprit, d'appeler le peuple le Dieu, lorsqu'il erre, à revenir à la Parole de Dieu, à se laisser juger et sauver par elle, à reconnaître sa pleine autorité, à se conformer à ce qu'elle dit. Pour l'amour de Dieu !

En ces années 80 ( on pourrait aussi bien dire 2000 ) qui commencent, tout le peuple de Dieu, en toutes "dénominations", est appelé à l'œuvre de re-formation, de restauration, de reconstruction, nécessaire. Au terme d'une longue période de sécularisation universelle qui, pour l'Eglise, a commencé par ses pasteurs et docteurs, a généralement été une période d'apostasie (de dérapage, d'éloignement, de révolte) par rapport à la Parole de Dieu, alors qu'au bout de faux-sens et de contre-sens nous en arrivons au non-sens, le temps est venu de confesser de nouveau, en paroles et en actes, avec une pleine conviction et dans une patiente et ferme espérance, que le Règne n'appartient pas au(x) prétendu(s) "prince(s) de ce monde", ni à l'homme se voulant dieu et reniant Dieu, mais au seul Seigneur Créateur et Rédempteur qui est éternellement : le Père, le Fils et le Saint Esprit.

Il faut ajouter et préciser que l'œuvre de re-formation, de restauration, de reconstruction chrétienne à laquelle, dans le monde entier, est appelé le peuple de Dieu n'est pas seulement celle de l'Eglise et de la théologie, encore qu'il faille, bien sûr, commencer par celle-ci. Puisque la Parole de Dieu est souveraine, elle doit être reconnue comme telle en tout et partout. Nul n'a le droit de restreindre l'étendue de son autorité. Notre Seigneur est Roi sur tous les domaines de l'univers et de l'existence. Et si la volonté apostate de sécularisation, œuvrant en tout et partout, a visé et vise à rejeter la souveraineté de Dieu jusque dans l'Eglise et la théologie, la volonté obéissante de christianisation, œuvrant en tout et partout, doit viser à ce que soit manifestée la souveraineté de Dieu jusqu'aux extrémités de l'univers et jusque dans la moindre parcelle de l'existence. La parole du Christ ressuscité à ses disciples est imprescriptible dans son affirmation, dans son commandement et dans sa promesse : "Toute autorité m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez. Faites de toutes les nations des disciples. Baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici : Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. 

Il  y a donc depuis la Chute et plus encore depuis qu'est venu Jésus-Christ antithèse, opposition, conflit spirituel universel et permanent entre la Cité de ce siècle (Babel, Babylone ; de la Genèse à l'Apocalypse) qui, pour s'exalter orgueilleusement et stupidement elle-même, prétend s'arracher et tout arracher à la souveraineté de Dieu et de sa Parole, et la Cité de Dieu (Salem, Jérusalem, la nouvelle Jérusalem ; de la Genèse à l'Apocalypse) qui, dans la foi, l'espérance et l'amour, se réjouit, dans la louange eucharistique, jusque sous la persécution, de la totale souveraineté de Dieu et de Sa Parole.

Notre Seigneur, par son Esprit agissant par et avec ce que dit - Parole de Dieu ! - la Sainte Ecriture, veut régner de telle manière efficace, particulière, intime, sur les siens qu'Il régénère, justifie, sanctifie et fait persévérer, que tout ce qu'ils pensent, tout ce qu'ils font, tout ce qu'ils sont ici-bas - dans l’Eglise comme dans l'Etat, dans le célibat comme dans le mariage, dans leur vie familiale et professionnelle comme dans leurs recherches philosophiques, scientifiques, artistiques ou techniques, bref : en toutes choses - soit pour la gloire de Dieu dans un mouvement progressif, continuellement repris, de repentance et de foi obéissante et aimante. C'est dire que la Parole-Loi de Dieu, la Parole-Directives de Dieu, toujours reçue comme Evangile, comme Nouvelle de grâce, leur est en toutes choses lumière et règle puisqu'elle exprime la Morale et le Droit véritables pour toute l'existence, personnelle et sociale, des hommes.

Dans son essai magistral d'une philosophie chrétienne de l'histoire, le De Civitate Dei (composé de 412 à 426, peu après la prise de Rome - 410 - par les Goths d'Alaric), S. Augustin a su mettre en évidence ce terrible combat des deux Cités (celle de "ceux qui aiment Dieu jusqu'au mépris d'eux-mêmes" et celle de "ceux qui s'aiment eux-mêmes jusqu'au mépris de Dieu").

Par ce combat, le Dieu trinitaire souverain, conformément à son dessein éternel et immuable, démontre et déploie historiquement tout ensemble sa justice et sa miséricorde. Le moment initial de ce combat se situe dès après l'apostasie originelle du genre humain, avec Adam et Eve, en Eden. Le moment central et décisif de ce combat se situe en Palestine, dans les trois premières décennies de notre ère, qui est la dernière de l'histoire (contrairement à un lieu commun transitoire, il n'y a pas, et il n'y aura pas, d'ère ''post-chrétienne" !), lorsque le Fils éternel de Dieu, incarné, a vaincu une fois pour toutes l'Adversaire (très précisément : lors de ses tentations, de sa passion, de sa mort sur la croix, de sa résurrection corporelle). Pour les siens. A leur place. Pour leur salut. Le moment final de ce combat se situe lors du retour en gloire du même Jésus-Christ ; lors de la résurrection des morts et du jugement dernier. Dans les "derniers jours" où nous sommes, entre sa première Venue et sa Venue en gloire, notre Seigneur, présentement, "à la droite de Dieu", accorde aux siens, par l'Esprit qui procède du Père et qu'Il leur envoie, toutes les richesses intrinsèques de sa victoire, merveilleusement antécédente aux combats conséquents qu'ils doivent encore poursuiv. Dans l'Eglise. Et en tous domaines. Jusqu'à ce qu'Il vienne.

II

Me bornant à l'essai d'une description du mouvement de reconstruction chrétienne au sein de la chrétienté réformée - dont je sais cependant les liens historico-spirituels qu'elle a eus, qu'elle a, et qu'elle doit garder et développer autant que faire légitimement se pourra, avec les autres chrétientés protestantes ainsi qu'avec les chrétientés catholique - romaine et orthodoxe-orientale - je commence en évoquant la figure de son précurseur, trop méconnu en dehors de sa patrie, les Pays-Bas : Guillaume Groen Van Prinsterer (1801-1876).

Dans son ensemble, la chrétienté réformée européenne n'était plus alors "réformée" que par ses dénominations ecclésiastiques. Sauf en quelques-uns - Reste intrépidement fidèle du peuple de Dieu - il n'y avait plus de confession vivante, vécue, de la Foi re-formée selon la Parole de Dieu.

Les Lumières (I'AufkIärung) et la Révolution française, dans l'esprit de ses principaux meneurs, ne s'en étaient prises que secondairement à des abus et à des injustices criants ainsi qu'à la domination cléricalo-politique de Rome et à l'absolutisme des Bourbons. Ce qu'elles avaient attaqué et rejeté surtout et d'abord, c'était la vérité et l'autorité de la Révélation divine. A la place du Dieu trinitaire, Créateur et Sauveur, l'homme, absolutisé, est pour elles la norme suprême, le point central de référence. Si, au début du XIXe siècle, et avec le Romantisme, le motif de la personnalité (et du sentiment) allait prendre plus de poids que le motif de la science (et de la raison) - de même que, plus tard, le motif de l'homme individuel - c'était encore et toujours l'humanisme - la religion de l'homme, en place de la religion du Dieu vivant - qui restait à l'ordre du jour. Dans la chrétienté réformée européenne, l'alliage contre-nature, antinomique, du peu qu'elle voulait bien encore garder du discours biblique et de tout ce qu'elle entendait assumer de l'humanisme avait opéré, et continuait à opérer ses ravages. Groen, qui, à la fin de sa vie, caractérisera son éducation, tant familiale qu'ecclésiale, comme ayant été "libérale et chrétienne" (libérale d'abord !) était imprégné de cette atmosphère humaniste du temps.

A vingt-deux ans, brillant étudiant de l'Université de Leyde, Groen soutint deux thèses : l'une à la Faculté de Droit, l'autre à la Faculté des Lettres. Les rencontres qu'il eut à ce moment avec le poète calviniste Wilhelm Bilderdijk ( 1756-1831), auteur entre autres d'une épopée fantastique restée inachevée, De ondergang der eerste Wareld ("La fin du premier monde"), l'unique homme éminent des. Pays-Bas à s'opposer alors à l'esprit rationaliste et révolutionnaire qui était, jusque dans la Cour royale, "la puissance" dans l'air de l'époque, ne l'influencèrent guère (plus tard, après la mort de Bilderdijk et après sa "conversion", Groen profitera, dans une admiration spirituelle et non plus esthétique seulement, de l'œuvre du poète).

C'est alors que le Réveil, parti de Suisse pour s'étendre à toute une partie de l'Europe, atteignit les Pays-Bas. Ce Réveil reformateur avait commencé avec des étudiants de la Faculté de théologie protestante de Genève. Un ancien officier de marine écossais, Robert Haldane (1764-1842), qui avait démissionné, après s'être donné à Jésus-Christ et à sa Parole, pour devenir "évangéliste", passant à Genève, avait réuni ces étudiants, en février 1817, et lisait, étudiait, méditait avec eux l'Epître de S. Paul aux Romains. Ce fut le début d'un Réveil. En mai de la même année - cela "marque" l'époque - la Vénérable Compagnie des pasteurs de Genève osa exiger des candidats au Saint Ministère la promesse de ne jamais prêcher sur la divinité de Jésus-Christ, le péché originel, l'efficacité de la grâce, et la prédestination ! Le Réveil n'allait pas moins se poursuivre - dans les Eglises "réformées" ou hors d'elles, peu importe - avec de fidèles ministres de la Parole de Dieu comme Henri Merle d'Aubigné, Frédéric Monod, Louis Gaussen et César Malan.

En 1822, un Juif d'Amsterdam, Isaac Da Costa (1798-1860), juriste, savant philologue et surtout poète, disciple et ami de Bilderdijk, demandait le baptême, et, en 1823, par la publication de ses Bezwaren tegen de Geest der Eeuw ("Objections contre l'esprit du siècle"), qui émurent Groen, prenait la tête du Réveil aux Pays-Bas. Des journaux "humanisto-chrétiens" n'hésitèrent pas à traiter Da Costa (pensez donc : un Juif !) de "canaille" et de "singe de l'enragé Bilderdijk".

En 1827, Groen fut nommé Référendaire, puis en 1829 Secrétaire, du Cabinet du Roi ("dînant chaque jour avec la Révolution" put-on dire). Mais son mariage, en 1828, avec une fervente réformée confessante (il y en avait quand même ! ), Elisabeth van der Hoop, puis ses rencontres, à Bruxelles, avec Merle d'Aubigné, qui fut tout ensemble un savant historien -à preuve son Histoire de la Réformation- et un prédicateur très simple du pur Evangile, l'introduisirent à cette Foi re-formée selon la Parole de Dieu à laquelle, enfin, il se rangea de tout son cœur.

A partir du début des années Trente, Groen va approfondir, proclamer et défendre cette Foi qu'il a enfin trouvée (qui l'a enfin trouvé).

Le propre du Réveil réformé (celui, aux Pays-Bas, de Bilderdijk, de Da Costa, de Groen, pour commencer), c'est qu'il se distingue du Réveil "piétiste" par le caractère à la fois plus radical et plus ample de son esprit et de sa vision : plus radical par sa foi en la souveraineté et en l'efficacité de la grâce divine ; plus ample, parce que, s'il s'agit du salut personnel et éternel des hommes, il s'agit aussi du salut temporel de la culture, de la société et du Règne du Christ sur tous les domaines de la pensée et de l'existence.

C'est ainsi que Groen Van Prinsterer voulut être, consciemment et résolument, chrétien en son "cœur" d'abord, mais aussi historien chrétien, journaliste chrétien et homme politique chrétien.

De plus en plus, Groen comprend et fait connaître que le mal moderne, jusque dans l'Eglise, est "l'apostasie systématique" préparée par le rationalisme des Lumières et propagée par l'esprit de la Révolution. La lecture qu'il fait alors des Reflections on the Revolution in France, de l'Anglais Edmund Burke (1728-1797) le confirme dans la conviction qu'avant d'être politique la Révolution est un phénomène spirituel, religieux, d'apostasie qui doit être combattu dans ses principes mêmes. A l'esprit de la Révolution et à la devise : "Ni Dieu, ni Maître" doit être opposé l'esprit de la Réformation, l'esprit de la confession de la vraie Foi : "Jésus-Christ est le Seigneur".

Groen, à cause de sa faible santé, a dû démissionner, en 1833, de sa charge de Secrétaire du Cabinet royal pour accepter l'emploi d'Archiviste des papiers personnels de la Maison d'Orange-Nassau, emploi qui va lui laisser... les loisirs qu'il va studieusement et activement occuper. Si Groen, fidèle à sa charge, va publier au long des décennies la série des volumes d'Archives de la Maison d'Orange (couvrant la période de 1552 à 1688), historien il va publier aussi un fort Manuel sur l'histoire des Pays-Bas. Tant dans son introduction aux Archives que dans son Manuel, Groen n'a pas hésité à mettre en œuvre son principe re-formé de "la soumission inconditionnelle à la Loi que Dieu a révélée dans la Sainte Ecriture". Par là il mettait en cause la prétendue "neutralité" de la science historique. Ce qui provoquera évidemment de vives réactions. Sans empêcher, de la part d'excellents historiens, la reconnaissance du fait que Groen a été un pionnier de l'historiographie moderne.

Historien chrétien, Groen fut de même, à plusieurs reprises et, en particulier de 1869 jusqu'à sa mort en 1876, avec l'hebdomadaire Nederlandsche Gedachten ("Pensées néerlandaises") un journaliste chrétien.

Groen fut surtout un homme politique et un penseur politique chrétien.

Homme politique, il fut à trois reprises député du Parlement néerlandais et leader du Parti anti-révolutionnaire établi en 1848.

Que l'on y prenne bien garde : Groen n'a aucunement été un conservateur et ne s'est jamais fait l'avocat du statu quo. Etre anti-révolutionnaire, au sens de Groen et de son Parti, ce n'est pas être contre les changements, contre les progrès, nécessaires, et même contre toute forme d'insurrection. Etre anti-révolutionnaire, au sens de Groen et de son Parti, c'est, pour le bien des hommes et pour le vrai progrès du genre humain, combattre les principes et les mauvais fruits conséquents de la Révolution "humaniste". Au reste, l'idéologie "religieuse-apostate" de la Révolution était alors partagée aussi bien par les libéraux - disons : la Gauche - que par les conservateurs - disons : la Droite. En réalité, Metternich et les partisans du Traité de Vienne et de l'Ordre établi avaient la même idéologie que leurs adversaires. "Les idées de Rousseau et de Montesquieu étaient alors la propriété de tous les pays civilisés". L'opposition des uns aux autres n'était pas "religieuse", "idéologique", mais se situait seulement au niveau "pratique" des intérêts et des moyens à considérer. Aussi, pour Groen, l'obligation alternative "conservateurs" ou "libéraux" - nous dirions aujourd'hui "droite" ou gauche" - s'inscrivait-elle dans le même ensemble apostat, religieux", "idéologique" à combattre résolument.

Comme homme politique, Groen, incompris le plus souvent jusque dans son propre Parti, demeura tout au long des années Trente à Cinquante et la majeure partie des années Soixante, un combattant plus ou moins solitaire, un "général sans armée" a-t-on dit. Ses nombreux adversaires en profitèrent pour le ridiculiser plutôt que pour le combattre honnêtement et sans mépris. Longtemps, en témoin de son Seigneur dans la sphère politique, Groen dut porter sa croix.

Seules, les sept dernières années de sa vie, de 1869 à 1876, furent rafraîchies et réconfortées par le secours inespéré et puissant que lui apporta Abraham Kuyper. Lorsque, le 8 mai 1869, Groen Van Prinsterer en sa vieillesse commençante entendit la conférence : Appel à la conscience nationale que Kuyper, alors pasteur à Utrecht, donna en l'Eglise cathédrale de cette ville à l'occasion d'un congrès national de la Société pour l'éducation chrétienne, fondée en 1860, il rendit grâces à Dieu. Enfin retentissait l'écho répondant à ce qu'il disait, apparemment sans grands résultats, depuis longtemps. Groen avait là près de lui et il écoutait et voyait pour la première fois un homme avec lequel il avait échangé quelques lettres, un homme dont la conviction, l'intelligence, la culture, les écrits, la parole, l'ardeur, allaient marquer l'histoire des Pays-Bas et de la chrétienté. Le "général sans armée" venait de trouver un successeur de taille, un général qui allait entraîner toute une armée à la bataille. Le vieillard qui n'avait pas eu d'enfant recevait pour sa consolation un fils spirituel incomparable. Et, pendant sept ans, ces deux hommes, saisis, éclairés, brûlés, par la même vision re-formée de Dieu, du monde et de la vie, allaient "évangéliser" ensemble leur pays, dans une amitié et un respect réciproques qui surmontaient la différence de leurs âges.

Penseur politique, Guillaume Groen Van Prinsterer a laissé des ouvrages saisissant d'actualité aujourd'hui :

Ongeloof en Revolutie ("Apostasie et Révolution"), 1847 ;

Le Parti anti-révolutionnaire et confessionnel (en français), 1860 ;

L'Empire prussien et l'Apocalypse (en français), 1867.

Dans "Apostasie et Révolution", Groen annonce que l'esprit apostat de la Révolution conduit de lui-même à l'avènement d'une société anti-christique dans laquelle un groupe scientifico-politique, ne reconnaissant d'autre autorité que sa propre raison et ayant une volonté de puissance absolue, dominera de façon totalitaire une population réduite à l'esclavage. Lorsque, comme par les Lumières et la Révolution, les mots : justice, liberté, tolérance, morale, etc... ne sont plus reçus et employés selon les principes chrétiens dont ils tiennent leur sens, la justice devient injustice ; la liberté, esclavage ; la tolérance, persécution ; et la morale immoralisme. Cette inversion sémantique du sens des mots est la nemesis verbale de ceux qui rejettent Dieu.

"Le bien-être de demain ne peut être établi par la modification, modération, régulation de principes pernicieux, ni par un esprit mortel d'abandon et de résignation ; il faut, au contraire, promouvoir la plus haute Vérité, accepter ce qui est la condition nécessaire pour suivre l'unique voie vers le bien-être des nations". Et Groen de montrer que lorsque Dieu et Sa Parole sont reniés, la morale est bientôt jetée par-dessus bord : une fois que le principe de la Révolution est adopté, il suit, comme la nuit après le jour, que la morale, la foi, le droit et la justice sont balayés pour être remplacés par leurs contre-façons humanistes. Il ne sert à rien, dit Groen, de blâmer les révolutionnaires pour leurs excès lorsqu'en même temps on applaudit à leurs principes. Et il démontre que la Révolution ne peut manquer de persécuter les chrétiens parce que, du point de vue du philosophe et politicien révolutionnaire, la Révélation et la Foi chrétiennes ne sont pas seulement ridicules mais nocives.

Dans "Le Parti anti-révolutionnaire et confessionnel", Groen démontre qu'une pensée et une action politique chrétiennes ne peuvent dépendre que d'une confession chrétienne de l'autorité de Dieu et de sa Parole sur toute l'existence, et qu'elles impliquent le rejet de l'esprit et des doctrines de la Révolution. Il faut choisir entre l'esprit de la "Révolution permanente" et l'esprit de la Reformation selon la Parole de Dieu. L'esprit de la Révolution, c'est le culte de l'homme ne reconnaissant d'autre souverain que lui-même, d'autre lumière que celle de sa propre raison, d'autre loi que sa volonté. Nous devons attaquer le mal à sa racine et renoncer complètement à ce subjectivisme qui, ne tenant compte ni de la souveraineté de Dieu, ni de la chute et de la faiblesse de l'homme, mine le fondement de toute vérité et ne peut que détruire sans être capable de construire.

Dans ce Même ouvrage, Groen expose les raisons pour lesquelles, en politique, les chrétiens doivent rompre aussi bien avec les "conservateurs" qu'avec les "libéraux". Ceux-là aussi bien que ceux-ci ne reconnaissent pas la souveraineté de Dieu et de sa Parole dans la sphère politique et soutiennent, par exemple, le monopole étatique de l'éducation voulu par la Révolution. Ce que Groen avait comme objectif, sur ce dernier point, c'était une éducation des enfants de l'Alliance de grâce donnée, sous la responsabilité de leurs parents, dans des écoles où toutes les disciplines seraient enseignées à la lumière de la Révélation divine tant spéciale (l'Ecriture Sainte) que naturelle (la Création de Dieu). Il ne s'agissait pas d'ajouter "la religion" aux autres sujets enseignés à l'école mais d'enseigner tous les sujets selon la vraie religion, celle du Dieu vivant et non plus selon la religion humaniste.

Dans ''l'Empire prussien et l'Apocalypse", Groen, avec une singulière, mais après tout très normale, clairvoyance, avertit les nations européennes des abîmes vers lesquels elles se précipitent. Je cite :

"Il y a deux axiomes de droit public au point de vue chrétien.

I. La Loi divine est obligatoire ; l'intérêt national est donc une idole, une fausse divinité.

Il. L'Antéchrist de notre époque est l'idolâtrie du Moi, systématisée dans le rationalisme et la Révolution.

I. La Loi divine, la Loi révélée, est obligatoire dans la sphère politique et doit imposer silence à l'égoïsme, soit individuel, soit national...

On ne révoquera pas en doute la foi et le zèle de la Neue Evangelische Zeitung. Eh bien ! au commencement de cette année on y proclamait qu'une politique soit-disant évangélique est en contradiction avec la nature même de l'Etat.

Séparer ainsi l'Evangile et la politique me paraît une erreur très grave... Entre l'athéisme pratique, l'irréligion, et la religion révélée, pour l'Etat comme pour chacun de nous, il faut choisir...

Prenez-y garde ; d'autres sauront développer les conséquences de la séparation que vous prêchez. Votre morale russe, autrichienne, prussienne, deviendra malgré vous de la morale indépendante. Votre politique non-évangélique aboutira malgré vous à l'intérêt bien entendu, à la raison d'Etat, au culte, même s'il le faut, sanguinaire et féroce du salut public. Tous les scrupules s'évanouiront devant la loi, seule désormais inviolable, de la nécessité politique.

Les deux systèmes, le système révolutionnaire et le système chrétien, se résument dans leur devise. Où la raison d'Etat dit : il le faut, le chrétien répond : Je ne puis...

L'égoïsme national n'est pas la loi suprême en politique...

Il. L'Antéchrist de nos jours, c'est l'esprit de rationalisme et de Révolution... Les chrétiens de toute dénomination ont dans la Révolution un ennemi commun... Eritis sicut Deus. C'est la devise de l'impiété... C'est l'humanité qui s'adore...

Résister à ce caractère antichrétien de notre époque a été la pensée dominante de mes écrits et le fil conducteur de ma politique... L'Antéchrist, c'est l'esprit de révolution".

III

Il est temps, maintenant, de parler d'Abraham Kuyper (1837-1920).

Kuyper fit ses études de lettres et de théologie à l'Université de Leyde, lui aussi. En théologie, il reçut l'enseignement de modernistes déclarés et savants tels L.W. Rauwenhoff, historien de l'Eglise puis philosophe ; Abraham Kuenen, professeur d'Ancien Testament ; et surtout Joannes Henricus Scholten, dogmaticien de grande réputation dont l'autorité hélas ! n'était pas celle de la Sainte Ecriture. "Moi aussi", dira plus tard Kuyper, "j'ai rêvé le rêve du modernisme" ; et il versera des larmes d'amer regret et de honte au souvenir d'avoir, un jour, applaudi, avec ses camarades de cours, Rauwenhoff déclarant qu'il ne pouvait plus admettre, comme un fait historique, la résurrection du Christ.

Le 20 septembre 1862, il obtint le grade de Docteur en théologie (summa cum laude) avec une thèse en latin : J. Calvini et J. a Lasci de Ecclesia sententiarum compositio ("Comparaison des doctrines sur l'Eglise de Jean Calvin et de Jean a Lasco").

La première paroisse que servit Kuyper, comme pasteur, fut l'Eglise de Beesd, un petit village de Gelderland, à vingt-cinq kilomètres environ au sud d'Utrecht. Dans l'ensemble, les "fidèles" de cette Eglise se satisfaisaient du statu quo, celui d'une sorte d'orthodoxie sans puissance spirituelle et qui ne les faisait pas combattre pour la cause et les besoins du Règne de Dieu. Kuyper prêchait consciencieusement et, avec zèle, visitait les paroissiens. Il y avait cependant à Beesd quelques réformés confessants dont une jeune femme, Pietje Baltus, fille de paysans, dont la foi réformée était profonde et qui, pour cette raison, ne supportant pas les sermons des pasteurs d'alors, puisait ses forces spirituelles dans la méditation de la Bible, la lecture assidue des confessions de foi et celle des auteurs réformés d'autrefois. A une voisine qui lui annonçait que le nouveau pasteur visitait toute la paroisse et allait sûrement bientôt venir la voir, elle répliqua : "Je n'ai rien à en faire !" ce à quoi la voisine ajoute : "N'oublie pas, Pietronella, que notre pasteur a, lui aussi, une âme immortelle et qu'il a, lui aussi, à se préparer à l'éternité." Aussi, quand Kuyper vint la visiter, Pietje Baltus osa fermement lui parler de Jésus-Christ et l'inviter à recevoir, lui aussi, ce salut.

Peu à peu, selon l'élection souveraine de Dieu, le docteur en théologie de l'Université de Leyde se laissa "évangéliser" par Pietje, l'humble paysanne qui lui ouvrait les trésors de l'Ecriture Sainte et de la Foi re-formée. Il rompit décidément avec le modernisme, reprit, pour la faire sienne parce que biblique, la doctrine des confessions de foi, se rendit inconditionnellement au Dieu trinitaire et à sa Parole, et devint pour toujours, à son tour, un chrétien réformé ardent et confessant.

Jamais Kuyper n'oublia Pietje Baltus, sa mère spirituelle en Christ. Et aujourd'hui encore, on peut voir, dans la "Kuyperhuis" à Amsterdam, sur le bureau de Kuyper, la photo de Pietje Baltus, photo qui ne quitta jamais, comme un rappel et un défi, le pasteur, le théologien, le journaliste, l'homme d'Etat, que fut Kuyper.

Le 10 novembre 1867, en la Domkerk (l'Eglise cathédrale) d'Utrecht, Kuyper était "installé" comme pasteur. Sa prédication sur "La Parole est devenue chair et elle a habité parmi nous" (Jn 1:14), malgré quelques fausses notes encore hégéliennes, quelques "bavures" encore, était un appel en vue de la re-formation de l'Eglise réformée officielle : "Si nous devons entreprendre soit la restauration de l'Eglise, soit la fondation d'une nouvelle Eglise, nous sommes, en tout cas, appelés à construire, que ce soit selon l'ancien plan ou que ce soit selon le style plus pur et le projet architectural plus élevé que l'Esprit de Dieu nous fera connaître".

A cette époque, une fois par an, toute Eglise locale était "visitée", "inspectée", par des représentants de l'Eglise nationale. Mais la chose était devenue une routine et en fait, deux années sur trois, se passait par questionnaires, sans vraie visite "spirituelle". Sur la proposition de Kuyper, le plus jeune des pasteurs d'Utrecht, ceux-ci décidèrent, le 15 avril 1868, de renvoyer les questionnaires sans répondre à une seule question puisque "les questions étaient posées au nom d'un Synode avec lequel les pasteurs n'avaient pas communion de foi et de confession".

Le Synode officiel ne broncha pas. Mais le fait était passé si peu inaperçu que, pour couper court aux folles rumeurs qui commençaient à circuler, Kuyper dut faire paraître, en août, une brochure : La visite d'Eglise à Utrecht en 1868, considérée historiquement dans la vision de la condition critique de notre Eglise.

Kuyper était vraiment entré dans le grand combat spirituel pour la reconstruction chrétienne, combat qu'il poursuivra inlassablement jusqu'à sa mort.

Journaliste remarquable par le caractère tout à la fois clair, vigoureux, populaire et profond de son style, il occupera deux tribunes dont l'importance ira croissant : celle de l'hebdomadaire De Heraut et celle du quotidien De Standaard.

Peu après sa conférence "Appel à la conscience nationale", il publiera, le 8 octobre 1869, son premier article dans De Heraut, dont il deviendra, moins d'un an après, le rédacteur-en -chef. Le peuple réformé des Pays-Bas trouvera chaque semaine, dans ce périodique, des éditoriaux, des méditations, des études bibliques, des exposés de la Foi, des considérations sur la situation des Eglises, signés par Kuyper, qui lui procureront une nourriture solide, et dont beaucoup seront publiés en volumes (par exemple : L'œuvre du Saint-Esprit- articles publiés par De Heraut, du 2 septembre 1883 au 4 juillet 1886 ; trois volumes publiés en 1888 et 1889 - et encore : Le miel du Rocher et Jours de joyeuses nouvelles - articles, puis recueils, de méditations).

Le 1er avril 1872 parut le premier numéro d'un quotidien De Standaard, que dirigera longtemps Kuyper et qui sera l'organe du Parti anti-révolutionnaire (ce Parti, fondé par Groen Van Prinsterer, ne deviendra un Parti vraiment organisé qu'à partir de sa première convention nationale tenue le jeudi 3 avril 1879).

Homme d'Eglise, Kuyper, après avoir été pasteur de l'Eglise réformée officielle à Beesd, puis à Utrecht, le sera à Amsterdam de 1870 à 1874. Ses prédications de la vivante Parole de Dieu allaient réveiller tout un peuple de Dieu aux Pays-Bas, car, souvent imprimées après avoir été dites, elles atteignirent les Provinces de tout le Royaume. Devenu homme d'Etat à partir de 1874, Kuyper demanda et obtint de n'être plus que pasteur émérite. Mais il ne cessa pas pour autant, en tant qu'"ancien" ou que fidèle, de prendre une part active à la vie ecclésiale.

Alors que le modernisme sévissait dans l'Eglise officielle, le consistoire d'Amsterdam, dont Kuyper était membre au titre d'ancien, prit l'initiative, en 1883, de demander que nul ne puisse être admis au saint Ministère s'il ne pouvait signer cordialement les trois Formes d'Unité. La même année, et sur la même lancée, Kuyper publia un volume manifeste de 204 pages sur "La Reformation des Eglises" (c'était alors le 400e anniversaire de la naissance de Luther).

Toute re-formation de l'Eglise réformée officielle (où en était le semper reformanda ?!) se heurtant à l'appareil moderniste en place, 200 Eglises environ quittèrent, en 1886, leur dénomination dont Kuyper et ses amis venaient d'être exclus. Elles réunirent un premier synode en 1890. Puis, en 1892, ces Eglises réformées, au nombre alors de 300 environ, se réunirent aux Eglises chrétiennes réformées (séparées, elles, de l'Eglise officielle depuis 1834), au nombre alors de 400 environ, pour former "les Eglises réformées aux Pays-Bas".

Théologien, Kuyper est, entre autres, l'auteur de deux ouvrages importants ; un ouvrage savant, en trois volumes : Encyclopaedie der Heilige Godgeleerdheid ("Encyclopédie de la sainte théologie") qui définit la nature de la science théologique, sa place dans l'organisme des sciences, et les différentes disciplines qui la composent ; et un ouvrage plus populaire, en quatre volumes : E Voto Dordraceno, qui est une exposition du Catéchisme de Heidelberg.

Homme d'Etat, Kuyper devint député pour la première fois en mars 1874. Il devait être Premier Ministre des Pays-Bas pendant quatre ans, de 1901 à 1905.

Trois grandes questions ont passionné Kuyper homme politique : la question de l'enseignement, la question coloniale et la question sociale.

La question de l'enseignement. Kuyper, dans la fidélité à la Sainte Ecriture, affirmera intrépidement : en ce qui concerne l'éducation des enfants, le droit prioritaire des parents contre l'absolutisme de l'Etat ; en ce qui concerne l'enseignement tant primaire ou secondaire que supérieur, le droit à la liberté de l'enseignement contre le monopole de l'enseignement d'Etat.

La grande affaire de Kuyper, dans le domaine de l'enseignement, fut l'établissement de l'Université libre d'Amsterdam.

En 1878, les Pays-Bas, avec une population de quatre millions d'habitants, comptaient trois Universités d'Etat (Leyde, Groningue et Utrecht) dont les humanistes, les rationalistes et les modernistes étaient pratiquement les maîtres. Le 5 décembre une "Société pour un Enseignement supérieur sur le fondement des principes réformés" fut établie à Utrecht. Le 7 novembre 1879, par un acte de foi remarquable, A. Kuyper et F.L. Rutgers furent nommés professeur à la Faculté de théologie d'une Université qui n'existait pas encore ! En fait, ils préparèrent activement ce qui suivit.

Le 19 octobre 1880, en l'Eglise cathédrale d'Amsterdam fut célébré un service de prière au cours duquel Ph. J. Hoedemaker donna une prédication sur 1 Samuel 13:19 : "On ne trouvait pas de forgerons dans tout le pays d'Israël car les Philistins avaient dit : Empêchons les Hébreux de fabriquer des épées ou des lances". Et le lendemain, 20 octobre 1880, ce fut le plus beau jour de la vie d'Abraham Kuyper : l'Université libre d'Amsterdam était inaugurée... avec cinq professeurs : Kuyper, Rutgers et Hoedemaker pour la théologie ; D. Fabius pour le Droit ; et F.W.J. Dilloo pour les Lettres. Quarante hommes et femmes faisaient don à la nouvelle Université du capital, nécessaire selon la Loi, pour démarrer.

En 1905, Kuyper, Premier Ministre, devait faire voter la loi qui allait assurer aux Pays-Bas une liberté vraiment plurielle de l'enseignement, l'ouverture de l'enseignement d'Etat à certains cours libres, la possibilité d'étendre tout enseignement supérieur d'Etat à des domaines autres que ceux des Lettres, des Sciences, du Droit et de la Médecine (d'où l'Université technologique de Delft et, bien plus tard, l'Université d'agriculture de Wageningen et les Universités de commerce de Rotterdam et de Tilburg).

La question coloniale. Kuyper, dans la fidélité à la Sainte Ecriture, affirmera intrépidement le droit des peuples colonisés (dans le cas particulier : celui des Indes orientales néerlandaises) à n'être pas exploités, que ce soit par la nation colonisatrice ou par des personnes morales ou physiques, et à recouvrer progressivement leur indépendance. Kuyper et ses amis œuvrèrent pour que les écoles et hôpitaux soient multipliés dans les colonies, pour que des cadres y soient formés, pour que soit mis fin au trafic de l'opium, pour qu'il y ait une administration équitable de la justice, pour que soit préparée la future indépendance par une organisation de conseils locaux et régionaux.

La question sociale. Kuyper, dans la fidélité à la Sainte Ecriture, affirmera intrépidement le droit des travailleurs à leur pleine dignité d'hommes. Il cherchera à éviter, dans les lois qu'il proposera et fera voter, le Scylla du laisser-faire et le Charybde de l'étatisme, en assurant le minimum d'interférence gouvernementale et le maximum d'initiatives et de participation des corps intermédiaires et des travailleurs. Les prises de position de Kuyper contre la politique sociale libérale du libre-échange et du laisser faire provoquèrent l'opposition des libéraux qui l'accusèrent de jouer avec le feu et d'être un démagogue. Et Kuyper déchaîna un véritable tumulte, le 28 novembre 1874, quand il ouvrit sa Bible de poche devant la Seconde Chambre pour lire Jacques 5:1 et ss. : "Et maintenant, à vous, riches ! Pleurez et gémissez à cause des malheurs qui viendront sur vous..."

En 1891, Kuyper ouvrit le Premier congrès social chrétien, par une conférence sur "Le Christianisme et la lutte des classes". Citant Eccl. 4:1 ; Jac. 5:1-4 ; 1 Tim. 6: 10, il déclara : "La question sociale est devenue LA question, la question vitale brûlante à la fin du XIXe siècle", et il s'en prit à l'esprit bourgeois de la Révolution française. Dans cette même conférence, Kuyper souligne cinq points :

a) Dieu étant le Créateur du ciel et de la terre, il nous faut écouter et suivre les lois qu'Il a établies pour la Société terrestre ;

b) l'Etat n'est pas la seule sphère sociale établie par Dieu ; les autres sphères sociales (familiale, professionnelle, ecclésiastique, etc ... ) doivent être reconnues elles aussi ;

c) l'humanité étant "d'un seul sang", l'interdépendance et les inter-relations sociales doivent aussi être reconnues ;

d) toute propriété est à Dieu ; les hommes ne sont jamais que les "gérants" de ce qu'ils "possèdent" ; l'usage "responsable" de toute "propriété" privée ou publique est un devoir chrétien ;

e) la fonction divine du gouvernement est de promouvoir la justice ; quand une injustice apparaît dans la vie sociale, il est de la responsabilité de l'Etat d'intervenir par des lois effectives.

Et Kuyper de conclure... "la question fondamentale de tout le problème social est de savoir si les moins fortunés, si les plus pauvres, sont non seulement des créatures en situation misérable mais, pour l'amour du Christ, des frères de votre propre chair et de votre propre sang", ajoutant : "Il n'y a pas de place (dans le Parti anti-révolutionnaire) pour ceux qui voudraient rejoindre nos rangs pour mettre leur portefeuille à l'abri. Car nous sommes sur une terre sainte et quiconque veut marcher sur elle doit d'abord quitter les sandales de son égoïsme".

Quand il fut Premier Ministre, et bien que son gouvernement fût un gouvernement de coalition ne lui laissant pas les coudées franches, Kuyper fit adopter une législation sociale assurant la protection des femmes et des jeunes travaillant dans l'industrie, établissant pour tous les Néerlandais un système d'assurances contre la maladie, l'incapacité et la vieillesse, législation alors à la pointe du progrès nécessaire dans les pays occidentaux.

  
Suite à venir...

 

Article du Dr Pierre Courthial sur le site Semper Réformanda

 

Rédigé par Théonomia

Publié dans #Philosophie

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