Le Mouvement de la Reconstruction Chrétienne. (2ème Partie)

Publié le 1 Mai 2008

Le Mouvement de la Reconstruction Chrétienne. (2ème Partie)

 IV

En 1926, le néerlandais Herman Dooyeweerd (7 oct. 1894-12 févr. 1977), nommé professeur de philosophie du Droit, d'encyclopédie du Droit, et de Droit néerlandais médiéval, à l'Université d'Amsterdam, traitait, dans sa leçon inaugurale de "De betekenis der welsidee voor rechlswetenschap en rechtsphilosophie" ("La signification de l'Idée de Loi pour la science du Droit et la philosophie du Droit"). Avec cette leçon inaugurale magistrale commençait (on ne s'en doutait pas alors ! ) le développement de cette philosophie spécifiquement chrétienne appelée d'abord "philosophie de l'idée cosmonormique" ou "philosophie calviniste" et qui mérite plutôt le nom de "philosophie re-formée". Au reste, le nom de Philosophia Reformata est celui que garde encore la revue trimestrielle lancée par Dooyeweerd en 1936 comme organe de la "Société pour une philosophie calviniste" et qui a compté, parmi ses tout premiers collaborateurs, aux côtés de Dooyeweerd et de son beau-frère D.Th. Vollenhoven, J. Bohatec, le savant calviniste de Vienne; H.G. Stoker, un philosophe sud-africain ; et Cornelius Van Til, l'apologète américain qui devait devenir, selon le mot de l'exégète vétéro-testamentaire Meredith Kline "le prince des apologètes au XXe siècle".

En 1935-1936 paraissait le premier grand ouvrage philosophique de Dooyeweerd : De wijsbegeerte der wetsidee ("La philosophie de l'Idée de Loi") en 3 volumes. Mais c'est de 1953 à 1958 que parut, en anglais, comme une extension de son premier grand ouvrage et sous le titre A New Critique of Theoretical Thought ("Une nouvelle critique de la pensée théorique") son opus magnum.

Dès 1954, un Jésuite allemand, Michael J. Marbet, publiait, à Munich, Grundlinien der Kalvinistischen "Philosophie der Gesetzeidee" als christliche Transzendentalphilosophie ("Principes de philosophie calviniste de l'Idée de Loi comme philosophie transcendantale chrétienne"), ouvrage signalant l'importance et la portée oecuménique de la philosophie réformée.

En France, dès avant la seconde guerre mondiale, le dogmaticien Auguste Lecerf avait nommé "les philosophes calvinistes Vollenhoven et Dooyeweerd". Pierre Marcel, qui, un temps, était allé les écouter et les étudier à Amsterdam, a écrit, pour sa licence puis pour son doctorat en théologie, deux thèses considérables consacrées à la pensée philosophique de Dooyeweerd. La Revue Réformée, dont Pierre Marcel est le directeur depuis qu'il l'a lancée en 1950, a publié plusieurs articles fondamentaux de Dooyeweerd qui ont l'avantage d'avoir été rédigés en français.

La philosophie re-formée, profondément une par son motif-de-base, chrétien, biblique, et dans son mouvement essentiel, et cependant fort diverse dans ses recherches et ses exposés entrepris par des hommes très différents, a déjà compté et compte plus encore aujourd'hui toute une pléiade de savants.

Aux Pays-Bas d'abord, à côté de Dooyeweerd, nommons encore D.H.Th. Vollenhoven dont la contribution spécifique est dans le champ de l'historiographie de la philosophie. Sa méthode (de Konsekwent probleem-historische methode) renouvelle l'approche et la vision que nous pouvons avoir de l'histoire de la pensée occidentale. Il a publié, par ailleurs, un seul volume de son "Histoire de la philosophie" (Geschiedenis der wiisbegeerte), volume comprenant une Introduction et une Histoire de la philosophie grecque avant Platon et Aristote" (1950). Citons aussi S.U. Zuidema ; J.P.A. Mekkes ; K.J. Popma ; Hendrik van Riessen, un ingénieur devenu philosophe, dont on peut lire en anglais The Society of the Future, et J.D. Dengerink, dont la Revue Réformée a publié plusieurs articles en français.

En Afrique du Sud, et particulièrement à Potchefstroom, il y a H.G. Stoker, déjà nommé, un ancien disciple de Max Scheler "converti" à la philosophie re-formée ; J.A.L. Taljaard, qui a été le premier président de la Société de philosophie d'Afrique du Sud ; et B.J. Van der Walt.

Aux Etats-Unis, la philosophie re-formée suit des routes fort variées. Si Robert D. Knudsen est bien dans la ligne de Dooyeweerd, Cornelius Van Til, déjà nommé, plus proche de H.G. Stoker, développe une "philosophie théologique" pré-suppositionaliste rigoureuse et conquérante tandis que R.J. Rushdoony et Greg L. Bahnsen exposent une pensée théonomique fortement controversée mais, à mes yeux, riche d'avenir. Nommons encore le jeune et brillant Vern S. Poythress, dont l'ouvrage Philosophy, Science and the Sovereignty of God ouvre d'originales perspectives.

Au Canada, autour de l'Institute for Christian Studies, de Toronto, Hendrik Hart, H. Evan Runner et Bernard Zylstra animent une équipe dynamique qui a réjoui le cœur de Dooyeweerd dans les dernières années de sa vie, mais qui a pris parfois, par rapport à l'autorité normative de l'Ecriture Sainte, des positions pour le moins aventurées.

 

V

Trois grandes figures historiques sont à l'arrière-plan de la naissance et du développement de la philosophie re-formée : celles de S. Augustin, de Calvin et... de Kuyper.

Nous avons déjà fait mention de S. Augustin (354-430) pour signaler que c'est lui qui a mis en évidence l'antithèse, l'opposition, entre la Civitas Dei et la Civitas terrena.

Cette antithèse, cette opposition, s'exerce en particulier dans le domaine de la pensée.

Après avoir assumé, sans trop de problèmes d'abord, l'héritage de Cicéron, dont l'Hortentius lui avait donné de "convoiter avec une fougue incroyable l'immortalité de la sagesse", ensuite celui des philosophes néo-platoniciens qu'il plaçait au-dessus de tous les autres, S. Augustin en vint, au cours du combat des deux Cités au-dedans de lui-même, à re-former profondément sa propre pensée. Ainsi regretta-t-il, comme en témoignent les Rétractation de la fin de sa vie, d'avoir placé en l'intelligence aussi bien qu'en Dieu le bien suprême de l'homme (allusion à son discours, de son temps de catéchumène : Contra Academicos), d'avoir affirmé que les philosophes sans vraie piété avaient pu (ou pourraient) se sauver par la lumière de leur vertu (allusion à son traité De ordine), et d'avoir trop insisté, en plusieurs passages de son De libero arbitrio, sur le rôle de la volonté humaine sans avoir parlé en même temps de la grâce souveraine de Dieu. Dans A New Critique of Theoretical Thought, Dooyeweerd nous apprend que c'est "l'Idée biblico-augustinienne du conflit permanent, à la racine religieuse de l'histoire, entre la Civitas Dei et la Civitas terrena" qui l'a conduit, "dès l'entrée, au long du labyrinthe compliqué de l'histoire de la pensée philosophique".

Dans un important passage du même ouvrage, Dooyeweerd donne les raisons pour lesquelles une philosophie chrétienne ne peut être développée que dans le sens indiqué et suivi par Jean Calvin (1509-1564). D'abord, à l'école de l'Ecriture Sainte, le Réformateur français rappelle et souligne que la corruption due au péché n'est pas restreinte à une "partie de l'âme" et que l'entendement lui-même, "ce qui est le plus noble et le plus à priser en nos âmes, est non seulement navré et blessé mais totalement corrompu, quelque dignité qui y reluise, en sorte qu'il n'a pas seulement besoin de guérison, mais qu'il faut qu'il vête une nature nouvelle". Il faut donc, dit Calvin, un "renouvellement", une "reformation", de la pensée comme de tout notre être (cf. Rom. 12:1-2) ; et le Réformateur d'enseigner la nécessité, en priorité, d'une "connaissance de Dieu enracinée au coeur", c'est-à-dire en notre moi, au point de concentration de notre existence tout entière. Ensuite, par sa maxime Deus legibus solutus est, sed non exlex, signifiant que Dieu, Loi à soi-même, est libre à l'égard des lois auxquelles Il a soumis ses créatures, Calvin, avec un sens bien biblique, chrétien, de la Majesté et de la Souveraineté divines, nous rappelle que Dieu seul est autonome et que toutes ses créatures, jusques et y compris les hommes qu'Il a créés et maintient vraiment libres et responsables, sont et demeurent théonomes. Dans son commentaire du Pentateuque, le Réformateur dit de Dieu : Legibus solutus est, quia ipse sibi et omnibus lex est : "Il n'est pas soumis aux lois parce qu'Il est Lui-même Loi pour soi et pour toutes choses". Premier des philosophes re-formés, Dooyeweerd considère qu'en cela réside "l'alpha et l'oméga de toute philosophie s'efforçant d'adopter, non pas en prétention mais en fait, une position vraiment critique" ; d'où l'appellation originelle de "philosophie de l'Idée de Loi" (wetsidee) qu'il donna à la philosophie re-formée. L'Idée de Loi souligne la frontière (non-spatiale et pour les créatures seulement !) entre le Créateur et sa création. Aussi toute pensée philosophique chrétienne va-t-elle pouvoir percevoir et décrire le cosmos, dans sa prodigieuse richesse de sens, comme création de Dieu centrée sur sa racine religieuse nouvelle : Jésus-Christ.

Dans la ligne augustino-calvinienne, Abraham Kuyper - nous l'avons vu - a développé l'Idée de l'antithèse religieuse radicale et totale entre la pensée chrétienne, dans la mesure où elle est fidèle au Christ de l'Ecriture et à l'Ecriture du Christ, et toute pensée non-chrétienne. Les conférences données par Kuyper à Princeton en 1898, et publiées sous le titre Lectures on Calvinism, sont significatives par leur seule table des matières : 1. Le calvinisme : une vision de la vie et du monde 2. Le calvinisme et la religion 3. Le calvinisme et la politique 4. Le calvinisme et la science 5. Le calvinisme et l'art ; 6. Le calvinisme et le futur. Dooyeweerd n'a pas manqué de reconnaître sa dette envers Kuyper : "La philosophie de l'Idée cosmonomique, depuis le commencement de son développement jusqu'à sa première expression systématique dans cet ouvrage (A New Critique) ne peut être comprise que comme un fruit du réveil calviniste aux Pays-Bas à partir des dernières décennies du XIXe siècle, un mouvement qui fut conduit par Abraham Kuyper... Aucun chrétien, s'il prend vraiment à cœur l'universalité du Règne du Christ et la confession centrale de la souveraineté de Dieu, en tant que Créateur, sur l'ensemble du cosmos, ne peut échapper au dilemme que cette philosophie expose... C'est dans un sens universel que nous devons entendre l'Idée kuypérienne de l'antithèse religieuse dans la vie comme dans la pensée... Cette antithèse ne trace pas une ligne de classification des personnes mais une ligne de division, à travers le monde, selon les principes fondamentaux, une ligne de division qui passe au travers de l'existence de chaque chrétien. Cette antithèse n'est pas d'invention humaine, mais elle est une grande bénédiction de Dieu. Par elle, Dieu empêche sa création déchue de périr. Nier cela, c'est renier le Christ et l’œuvre qu'Il poursuit dans le monde".

VI

Dès son départ, la philosophie re-formée entreprit d'examiner, puis rejeta, le dogme, toujours maintenu jusqu'aujourd'hui dans l'histoire de la pensée occidentale, de la prétendue autonomie de la pensée théorique. Les diverses critiques de la raison n'ont, en fait, jamais été assez radicales pour oser mettre en question l'axiome ou le postulat de l'autonomie de la pensée philosophique ou scientifique. Par exemple, ni la Critique de la raison pure, à laquelle Kant travailla de 1770 à 1781, ni La crise des sciences en Europe et la phénoménologie transcendantale, que Husserl publia en 1937, un an avant sa mort, ni la Critique de la raison dialectique qu'inaugura Sartre en 1960, ne touchent au dogme, incontesté et incontestable pour ces philosophes, de l'autonomie de la raison. Husserl, qui avouera ensuite "avoir rêvé un rêve", affirmait avoir proposé "la critique la plus radicale de la connaissance", avoir "fait valoir le droit de la raison autonome à s'imposer comme seule autorité en matière de vérité", s'être "débarrassé de toutes les idoles, des puissances de la tradition, des préjugés de toutes sortes". Il ne faisait ainsi que manifester, de façon naïve, qu'il recevait, sans aucunement le critiquer, le dogme, traditionnel depuis les merveilleux Grecs, de l'autonomie de la theoria.

Mais - et c'est ce que démontre A New Critique of Theoretical Thought - toute pensée théorique ne peut s'exercer sans être animée, qu'elle le sache ou non, qu'elle le déclare ou non, par un motif-de-base religieux qui relie le "coeur", le "moi", le "je", de celui qui pense, "Cœur" créé par et pour l'Absolu, soit au seul vrai et vivant Absolu qui est le Dieu trinitaire Créateur et Sauveur, soit, par une inexplicable et inexcusable apo-stasie, à un relatif absolutisé qui ne peut être - tertium non datur - qu'une partie ou un aspect de la Création. C'est ce que démontre, une fois pour toutes, S. Paul :

"La colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent injustement la Vérité captive, car ce qu'on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, car Dieu le leur a manifesté. En effet les (perfections) invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient fort bien depuis la création du monde quand on les considère dans ses ouvrages.

Ils sont donc inexcusables puisque connaissant Dieu ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans de vains raisonnements et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. Se vantant d'être sages ils sont devenus fous ; et ils ont remplacé la gloire du Dieu incorruptible par des images représentant l'homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles.

C'est pourquoi Dieu les a livrés à l'impureté, selon les convoitises de leurs cœurs, en sorte qu'ils déshonorent eux-mêmes leurs propres corps, eux qui ont échangé la Vérité de Dieu contre le mensonge et qui ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni éternellement. Amen".

Se comprend alors l'exhortation du même S.Paul aux chrétiens de Colosses : "Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et vaine tromperie selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde, et non pas selon Christ.

Etrangement, les théologiens ou philosophes chrétiens, eux-mêmes, depuis les Pères jusqu'aujourd'hui n'ont pas essayé, dès qu'ils parlaient philosophie, de critiquer le dogme reçu de la prétendue autonomie de la raison. Même le philosophe d'Aix-en-Provence, Maurice Blondel (1861-1949), dans son esquisse d'une "philosophie chrétienne, a voulu accorder et réconcilier la foi avec la raison sans aliéner l'autonomie de celle-ci . En recevant sans examen le dogme intouchable de la prétendue autonomie de la raison, les théologiens ou les philosophes chrétiens ont été conduits, qu'ils en aient eu ou non conscience, à "accommoder" leurs pensées aux motifs-de-base religieux apostats cachés dans les philosophies de leur temps (ou à la mode de leur temps). Le "point de vue proprement philosophique" n'a ainsi jamais cessé d'être pour eux le point de vue immanentiste et rationaliste imperturbablement maintenu, sous les formes les plus diverses, par la tradition philosophique humaniste. Les théologiens ou les philosophes "chrétiens", opérant des synthèses impossibles entre le motif-de-base chrétien, biblique (création-chute-rédemption) et des motifs-de-base apostats (forme-matière ou nature-liberté) dialectiques et antinomiques, ont été successivement platoniciens, aristotéliciens, cartésiens, kantiens, hégéliens, husserliens, heideggeriens, existentialistes, marxistes, structuralistes, etc.... la Foi chrétienne (au sens de la Fides quae creditur) faisant toujours, plus ou moins, les frais de l'opération.

La philosophie re-formée doit œuvrer - jusqu'en elle-même, jusque chez les théologiens réformés - pour que soient discernées, et combattues, et bannies, ces "accommodations" déformatrices de "la Foi transmise aux saints une fois pour toutes". En 1932 déjà, dans son Introduction à la dogmatique réformée Auguste Lecerf écrivait : "La corruption est, extensivement sinon intensivement, totale. Elle s'étend à toutes les facultés humaines. Le péché a son siège non seulement dans le monde des passions sensibles qu'il pervertit et déchaîne, mais aussi dans la volonté qu'il asservit et dans l'entendement qu'il affranchit de la dépendance de son objet réel et du Créateur de l'objet. Il y a un péché de l'intelligence... (Le péché) s'étend plus haut et plus loin que la sensibilité et que la volonté. Il siège au centre même de la conscience intellectuelle de l'homme". Et Lecerf d'ajouter cette phrase que je souligne : "Si la raison était normale, elle consentirait à demeurer raison raisonnée". Comme l'écrit Dooyeweerd : "J'ai d'abord été fortement sous l'influence en premier lieu de la philosophie néo-kantienne, ensuite de la phénoménologie de Husserl. Le grand moment-tournant de ma pensée a été la découverte de la racine religieuse de la pensée elle-même. Cette découverte a projeté une lumière nouvelle sur l'impossibilité de toute tentative, y compris la mienne, d'opérer une synthèse interne entre la Foi chrétienne et une philosophie enracinée dans la foi en l'auto-suffisance de la raison humaine."

C'est l'examen critique de la structure interne de la pensée théorique qui a conduit la philosophie re-formée à rejeter décidément le faux dogme traditionnel selon lequel le point de départ de la pensée se situerait dans la pensée elle-même. Si les mouvements philosophiques n'avaient pas, cachées sous elle et l'animant, des présuppositions plus profondes que leur theoria, les arguments des meilleurs philosophes convaincraient les autres. Mais, à l'inverse, le débat philosophique se bloque sans cesse parce qu'en raison-même du faux dogme de l'autonomie de la raison, qu'ils reçoivent en commun, les philosophes sont rendus incapables de pénétrer jusqu'aux véritables points de départ, jusqu'aux motifs-de-base religieux, des autres. Ils s'imaginent alors à tort que leurs oppositions fondamentales ne tiennent qu'à des défauts dans l'exercice de la pensée. En réalité, les oppositions fondamentales, en philosophie comme ailleurs, sont d'origine religieuse selon que l'homme reconnaît sa situation théonomique (de relation au vrai Dieu trinitaire, seul auto-nome, seul Loi-à-soi-même, qui se révèle avec évidence tant dans son œuvre créée, y compris l'homme, que dans sa Parole incarnée et écrite) ou ose prétendre à une impossible situation d'autonomie qui l'oriente vers (et le relie à) l'Idole, le relatif absolutisé, de son choix apostat.

La présupposition qui, seule, rend possible tant la pensée théorique que l'expérience, est la sûreté de la parole du Christ disant : "Le chemin, la vérité et la vie, c'est Moi ! " S'il était vraiment livré à lui-même - mais par la Providence et le Gouvernement de Dieu, il ne l'est pas -, l'homme apostat, philosophe ou non, serait perdu dans un océan de contingences sans rivages et sans fond. Mais cet homme, en dépit de sa prétention à l'autonomie, se trouve bel et bien situé dans l'univers de Dieu, dans l'univers que Dieu a créé, a placé sous sa Loi, gouverne et maintient, tant et si bien que s'il peut vivre et raisonner - même contre Dieu ! - c'est que le monde et lui-même ne sont pas ce que sa religion apostate lui fait penser, mais ce que la parole de Dieu révèle qu'ils sont. Chaque fois qu'en homme de pensée, philosophe ou savant, il "explique" ou "découvre" valablement quelque chose, il ne le fait - contrairement à ses fausses présuppositions - que parce qu'il emprunte, inconsciemment et à son "cœur" défendant, la présupposition chrétienne de la Création et de la Providence divines. Et c'est seulement ainsi que l'homme apostat a pu, peut et pourra contribuer au progrès du savoir et de la culture. Malgré ses fausses "religions". Non pas selon ses motifs-de-base insensés mais malgré eux. Non pas selon ses présuppositions de caractère dialectique et antinomique : "forme-matière", "nature-liberté ", "hasard-nécessité", etc... mais parce que, seule, la présupposition chrétienne, biblique, du Dieu trinitaire Créateur et Sauveur est vraiment vraie.

La philosophie re-formée, en se développant, va pouvoir et devoir rendre un service inappréciable à l'indispensable reformation progressive de l'ensemble du savoir théorique, sous l'autorité normative de la Parole de Dieu. En effet, si chacune des branches du savoir théorique, c'est-à-dire chaque science particulière, a comme objet propre, comme Gegenstand, un des aspects modaux de la réalité créée, avec son noyau-de-sens irréductible et définissant un des cercles-de-lois de la création, c'est la philosophie, dont le Gegenstand est tout à la fois la cohérence de sens de toute la réalité créée une et multiple et les inter-relations des divers aspects modaux qui la structurent "légalement", qui peut et doit assumer, à côté et au-dedans des sciences particulières, le rôle critique et positif qu'elle seule est appelée à jouer :

- rôle critique, en s'employant à discerner en toute science particulière, et même dans les sciences spéciales que sont la théologie et l'anthropologie, aussi bien ce qui relève de la présence et des influences, souvent subtiles, de motifs-de-base irrecevables parce qu'apostats, que ce qui relève valablement du motif-de-base chrétien, biblique ;

- rôle positif en contribuant à la reformation et à l'affinement des concepts, des notions, qu'utilise chaque science et qui ont généralement des sens analogiques, prospectifs ou rétrospectifs, dans les autres sciences ; rôle positif encore, en distribuant et en décrivant systématiquement les sciences particulières selon un ordre logique dépendant de la structure discernable dans la création ; et en caractérisant à part la théologie en tant que science de la Révélation spéciale de Dieu (dans le Christ de l'Ecriture dans l'Ecriture du Christ) et l'anthropologie en tant que science de l'homme-image de Dieu, à la lumière de cette même Révélation spéciale.

VII

Il est évident que le mouvement reformé de reconstruction chrétienne doit être entrepris ou poursuivi, en priorité, dans l'Eglise, profondément pénétrée hélas ! par l'esprit de révolution, de sécularisation et d'apostasie.

La vraie foi venant de ce qu'on entend la Parole du Christ, la priorité des priorités est celle d'une prédication, d'un enseignement, d'une catéchèse, aussi rigoureusement fidèles que possible à l'Ecriture Sainte reçue, sans aucune restriction, dans sa singularité et sa totalité, comme Parole inerrante de Dieu Lui-même. La saine doctrinedoit recouvrer dans l'Eglise la place qu'elle n'aurait jamais dû perdre. Aussi, dans les Ecoles, Facultés, Séminaires, Instituts, qui forment au saint Ministère, à la lumière et sous la norme de cette infaillible Parole de Dieu qu'est la Sainte Ecriture, les confessions de foi de l'Eglise des premiers siècles (Symboles apostolique, de Nicée-Constantinople, de Chalcédoine) et des Eglises réformées des XVIe et XVIIe siècles, comme aussi les œuvres anciennes ou modernes des docteurs de la grande tradition ecclésiale fidèle à l'Ecriture Sainte, doivent-elles être étudiées pour être suivies, continuées ; et les erreurs et hérésies qu'elles ont combattues doivent-elles être étudiées pour être réfutées, rejetées. Notre temps ne manque pas, grâce à Dieu, de docteurs fidèles rappelant l'Eglise à sa vraie tradition qui est de suivre humblement ce que dit le Christ de l'Ecriture et l'Ecriture du Christ.

A la saine doctrine divine qu'elle doit enseigner et proclamer, l'Eglise doit se conformer toujours mieux dans sa vie et dans la vie de ses membres, progressant ainsi dans la sanctification qui est en Jésus-Christ, son unique Chef, par la puissance du Saint Esprit, afin d'être vraiment le sel de la terre et la lumière du monde.

Mais - et je le répète car c'est pour le dire et le redire que cet article est écrit - , le mouvement reformé de reconstruction chrétienne doit être entrepris ou poursuivi, aussi, dans tous les autres domaines de l'existence.

Il est temps d'en finir avec le défaitisme "chrétien" qu'un Autre a mis à la mode !

Depuis des décennies, un peu partout, c'est comme si les "chrétiens" s'entretenaient à jouer battu. C'est comme s'ils étaient prêts à se replier sans cesse sur des positions même pas préparées à l'avance ; c'est comme s'ils étaient fascinés et attirés par tout ce qui va contre la Foi, contre la Sainte Ecriture, contre la Vérité qui, seule, peut affranchir des peurs, des doutes et de la puissance des Ténèbres ; c'est comme s'ils s'ingéniaient à ouvrir les portes de la Cité de Dieu aux adversaires et se proposaient d'être leur cinquième colonne.

Et les "chrétiens" de parler eux-mêmes, constamment, de fin de l'ère chrétienne, d'inéluctable sécularisation, de post-chrétienté. De répéter à qui veut bien (et comment !) les entendre que tout est profane et que rien n'est sacré.

Alors que le Seigneur leur tend et leur ordonne d'employer, pour qu'ils soient vainqueurs dans leur faiblesse même, des armes invincibles, ne dédaignent-ils pas ces armes, ne les jettent-ils pas bas, prêts à pactiser (paix ! paix ! paix !) avec l'Adversaire, sous quelque masque qu'il se présente ?

Dans cet horrible temps de défaitisme "chrétien", les leçons de fidélité, de courage, d'entreprise, d'espérance, d'un S.Augustin, d'un Jean Calvin, d'un Groen Van Prinsterer, d'un Kuyper, d'un Dooyeweerd et d'un Van Til, sont exemplaires. C'est un sursum corda qui doit retentir.

Toute espérance humaniste, toute espérance d'un salut (même seulement temporel) de l'homme par l'homme, est illusion, mensonge, duperie. L'homme est bien trop petit pour être un dieu pour l'homme.

Seule l'espérance chrétienne, seule l'espérance du salut (temporel et éternel) de l'homme par Dieu, par la grâce souveraine de Dieu, par l'Evangile-Loi de Dieu, est la vraie espérance. Dieu seul peut être Dieu pour une créature aussi grande, jusque dans sa misère, que l'homme.

Parce que Dieu est le souverain Créateur et Recteur de toutes les réalités visibles et invisibles, ni le salut qui est son œuvre de grâce, ni le combat dans lequel Il entraîne et conduit les siens, ne se bornent à je ne sais quelle sphère purement "intérieure", mais doivent s'étendre à toutes les sphères sans exception. Tout doit, devenir ou redevenir chrétien parce que la seigneurie du Christ Jésus, le Fils unique de Dieu incarné pour nous et pour notre salut, est une seigneurie totale. La Foi chrétienne place tout sous cette seigneurie du Christ. A Lui, comme au Père et au Saint Esprit l'honneur, la louange et la gloire, pour les siècles des siècles. Amen.

Article du Dr Pierre Courthial sur le sîte Semper Réformanda

Rédigé par Théonomia

Publié dans #Philosophie

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